A l’automne 2021, près de 200 zapatistes ont sillonné l’Europe rebelle à la rencontre des luttes, collec-tifs et associations. Suite à l’accueil en France de cette délégation, à l’initiative de la coordination d’accueil de la région sud-ouest, une dénonciation de la situation toujours plus délétère au Chiapas a été remise au consulat du Mexique à Toulouse, elle était adressée aux différents niveaux d’autorités, depuis le gouvernorat du Chiapas jusqu’à la tête de l’État mexicain. Elle a été signée par différents collectifs, dont le Forum Civique Européen. Ce texte revient sur les exactions commises par les groupes paramilitaires qui étaient déjà évoquées dans le numéro 307 d’Archipel: «Zapatistes: Que nous contamine le virus de la résistance et de la rébellion»
En tant que Réseau de résistance et de rébellion du sud-ouest de la France et de soutien à la lutte pour la vie que mènent nos compas zapatistes, adhérent·es à la Sixième déclaration de la Forêt Lacandone, nous dénonçons les violences commises à l’encontre des peuples indigènes du Chiapas en toute impunité malgré les diverses dénonciations documentées adressées aux trois niveaux de gouvernement mexicains. Nous soutenons notamment les communautés de Moisés y Gandhi et de Nuevo San Gregorio rattachées au Conseil de bon gouvernement1 Nuevo Amanecer en Resistencia y Rebeldía por la Vida y la Humanidad (Nouvelle aube en résistance et en rébellion pour la vie et l’humanité), du Caracol 10 Floreciendo la Semilla Rebelde. (fleurit la semence rebelle)
Depuis l’été 2020, la ORCAO, groupe de paramilitaires, a perpétré des actions sous couvert des autorités de la municipalité d’Ocosingo où gouverne le mal nommé Parti Vert (appendice du PRI et qui fait le sale boulot de Morena2), et dont le principal leader est un fonctionnaire de la muni-cipalité. Le gouverneur Rutilio Escandón Cadenas les couvre, en échange des votes que lui a donné le Parti Vert afin d’obtenir la gouvernance du Chiapas.Parmi les actions menées par les parami-litaires de la ORCAO il y a: le saccage, le vol et l’incendie du magasin El Arco Iris (l’Arc en ciel) le 22 août 2020, situé au croisement de Cushuljá, municipalité d’Ocosingo. Le 8 novembre 2020, le Conseil de bon gouvernement de Patria Nueva a dénoncé «l’enlèvement et la torture d’un com-pañero base d’appui zapatiste de la communauté de San Isidro, rattachée à Moisés y Gandhi, par l’organisation paramilitaire appelée ORCAO». Le 11 septembre 2021, le groupe paramilitaire a enlevé deux membres du Conseil de bon gouvernement, José Antonio Sánchez Juárez et Sebastián Núñez Pérez, les maintenant comme disparus jusqu’au 19 septembre. Le 21 novembre, il a une fois de plus attaqué à main armée la communauté de Moisés y Gandhi et incendié l’école secon-daire autonome zapatiste. Dans la même zone, et depuis novembre 2019, le village de Nuevo San Gregorio subit l’invasion de ses terres par le «groupe des 40», dont les leaders sont identifiés et ont été dénoncés publiquement à plusieurs reprises.
Aujourd’hui, de ses 155 hectares, le village ne dispose plus que de 7 hectares, réduisant ses habitant·es à être des paysan·nes sans terre. Malgré une dénonciation de ces actes par le Conseil de bon gouvernement, par l’intermédiaire du Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de las Casas, datée du 2 décembre, ce même groupe est venu labourer le pré du troupeau collectif, laissant 20 vaches affamées, errant sur la terre retournée. À chaque invasion, les villageois·es de Nuevo San Gregorio se sentent «séquestré·es» et ne peuvent plus se déplacer, travailler ou seulement sortir de leur maison, livré·es à la garde des agresseurs, depuis plusieurs points stratégiques. Comble de l’impunité qui règne au Chiapas, il existe des témoignages et des images des liens amicaux qu’entretiennent les envahisseurs et la police municipale de Huixtán. Peut-on donc tout faire au Chiapas sous les yeux de la police ou de l’armée? Voler des terres? Séquestrer des gens? Les déplacer? La notion de respect des droits humains est-elle moins importante que la logique capitaliste de la 4T?3 Les envahisseurs de terres ont mis un prix aux terres qu’ils ont volées: 100.000 pesos l’hectare soit plus de 4300 euros, un prix exorbitant pour la région. Qui achètera ces terres volées? L’État ou une multinationale de l’électricité qui pourrait enfin construire le barrage projeté il y a quelques années, une fois la vallée débarrassée des zapatistes, gardien·nes des terres et protecteur/trices de la vie?
Cette série d’actes violents a été dénoncée par les Assemblées de bon gouvernement. C’est pourquoi nous exhortons l’État mexicain, qui a pleinement connaissance des faits depuis mars 2020, à entreprendre des actions pour en finir avec les violences, dans le respect total de la terre et du territoire qui appartient à l’EZLN dans le cadre des Accords de San Andrés, la Loi de Concorde et Pacification, la Convention 169 de l’OIT, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes et des États américains. Le 10 janvier, toujours dans cette même région du Caracol 10, la communauté autonome de 16 de Febrero a été attaquée par un groupe armé, une femme et ses trois enfants ont disparu pendant 24 heures! Nous dénonçons aussi ces disparitions forcées. Nous dénonçons également l’inaction des trois niveaux de gouvernements face au déplacement de milliers de personnes cette année 2021 dans la région de Aldama pour causes d’attaques de groupes paramilitaires (et dernièrement, 36 attaques à main armée les 7, 8 et 9 janvier 2022, et un zapatiste blessé alors qu’il allait travailler sa milpa [parcelle] avec sa famille), ou face à l’assassinat de Simon Pedro Pérez, ex-président de l’organisation pacifiste des Abejas, toujours en attente d’une vraie justice suite au massacre d’Acteal en 97.4
Comme l’écrivait le sous-commandant Galeano en septembre 2021, le Chiapas est «au bord de la guerre civile», une situation créée par l’État mexicain lui-même: depuis 1994, sa stratégie contre-insurrectionnelle a favorisé l’émergence de groupes paramilitaires qui agissent en toute impunité. Il a encouragé le démantèlement des ejidos [terres collectives] et la division des com-munautés qui avaient pour usage de gérer collectivement leur vies comme leurs terres. Il promeut et encourage les grands projets capitalistes tels que les mines ou le train maya qui ne peuvent se concrétiser qu’en déplaçant des communautés entières ou en les obligeant à rompre avec leurs us et coutumes. Il crée des programmes «d’aides» comme Sembrando vida qui eux aussi favorisent tant la destruction du mode de vie des peuples indigènes et des terres elles-mêmes en incitant à la monoculture productiviste, que l’invasion par la force des terres par des groupes violents (aide versée à condition de posséder plus de 2,5 hectares).
Nous dénonçons la violence exercée sur les peuples indigènes et son impunité. Et nous demandons que les responsables institutionnels agissent comme dans un État de droit, dans le respect de la vie et des droits des peuples. Il est grand temps que les trois niveaux de gouvernements fassent cesser l’escalade de la violence au Chiapas. Nous continuerons à soutenir l’organisation, l’autonomie et la résistance des communautés zapatistes par tous les moyens possibles, car elles luttent pour la vie, pour la protection de la terre et donc pour celle de l’humanité.
Coordination du sud-ouest de la France des collectifs de soutien aux zapatistes Toulouse, le 14/01/22
- Les conseils de bon gouvernement sont les instances politiques dont se sont doté·es les zapatistes pour exercer leur autogouvernement. Ces instances siègent dans des lieux physiques, appelés caracoles (escargots) qui sont aussi le lien entre l’intérieur des territoires zapatistes et l’extérieur. [NDLR]
- Le PRI, le Parti Révolutionnaire Institutionnel est le vieux parti qui était au pouvoir au Mexique pendant plus de 70 ans. MORENA, le Mouvement de Régénération Nationale, est le parti relativement récent, actuellement à la tête du pays par le biais de son président Andrès Manuel Lopez Obrador, alias AMLO. [NDLR]
- La 4T est la quatrième transformation, énorme plan d’investissements de AMLO pour promouvoir des mégaprojets, tous plus nuisibles les uns que les autres, que ce soit au niveau environnemental ou social pour les populations indigènes.
- en 1997, une manipulation visant à faire croire à un affrontement entre indigènes zapatistes et non-zapatistes (celleux de las abejas) génère un massacre orchestré par des paramilitaires faisant 45 mort·es dans cette communauté tzotile, dont une majorité de femmes et d’enfants. Quelques hommes de main ont été condamnés. Jamais les commanditaires. NDLR